Mémoire(s) de la Première Guerre Mondiale (1922)

L'année 1919 marque le commencement des réflexions, au plus haut niveau de l'Etat comme dans la plus petite commune, sur la nécessité d'honorer les morts de la Première Guerre mondiale.

Rapidement, un réel engouement gagne tout le territoire ; ce sont alors environ 35 000 monuments aux morts qui vont être érigés dans les années suivantes afin de rendre hommage aux soldats français.

Désormais entièrement intériorisé dans l'inconscient collectif, le monument aux morts devient le symbole de la mémoire et l'artefact physique permanent de nos commémorations. Il devient assurément une part de l'identité française.

 

Ce faisant, il nous interroge. Que nous apprend-il réellement sur la guerre ?

Un monument pour commémorer l'hécatombe

  • Le document du mois de novembre est un plan sur calque du projet de monument aux morts de la commune de Crouy-Saint-Pierre, dessiné en 1922.
  • Ce monument constitue l'archétype du monument aux morts, forme la plus observée dans les communes françaises : une stèle élevée sur un socle. Il s'agit du modèle le moins coûteux car le plus dépouillé du point de vue ornemental. La commune refuse par délibération en date du 25 juin 1922 une subvention préfectorale qui lui aurait permis de financer son monument ou de l'ornementer davantage et ce probablement afin d'afficher fièrement la prise à sa charge, pleine et entière, du devoir d'honorer les défunts.

  • Les autorités administratives contemporaines se sont données à de violentes polémiques, précisément au sujet de la forme ou du sculpteur des monuments. Ici, le monument de Crouy-Saint-Pierre affiche une sobriété matérialisée par une épitaphe que l'on peut relever sur beaucoup d'autres monuments :

"Aux enfants de Crouy morts pour la France 1914 - 1918"

  • Ailleurs, le poilu peut être au centre du monument, les noms des soldats sont d'une part bien évidemment gravés sur celui-ci, mais on peut également observer des sculptures présentant le soldat victorieux ou mourant. L'héroïsme est présent tandis que la mort hante les survivants. Drapeau français, coq, veuve épleurée, veuve accompagnée d'enfants... Les sujets présentés sont multiples et selon des formes qui, chacune, traduisent un sentiment particulier.

L'histoire du 11 novembre en quelques dates :

  • 1918 : à la onzième heure du onzième jour du onzième mois, l'armistice est signé dans la clairière de Rethondes.
  • 1919 : défilé de la victoire sur les Champs-Elysées.
  • 1920 : un soldat français inconnu est inhumé sous l'Arc de Triomphe. Il représente tous les soldats français tués durant la Première Guerre mondiale.
  • 1922 : le 11 novembre devient férié. Une cérémonie aura désormais lieu dans chaque commune.
  • 1923 : une flamme est allumée sous l'Arc de Triomphe, sans cesse ravivée depuis.

Un monument au centre de l'espace public

  • La localisation du monument au sein de l'espace public nous renseigne sur la volonté symbolique de la commune. En l'occurrence, le Conseil municipal de Crouy-Saint-Pierre alloue en 1922 pour l'emplacement du monument  une petite parcelle de terrain en haut de la rue de la Croix, le long de la route principale. Ainsi, la commune n'opte pas pour un site proche de l'église, consacrant ainsi un caractère religieux, ni pour une localisation proche de l'école-mairie qui aurait alors laissé transparaître une dimension avant tout civique du monument.
  • Proche du calvaire, mais essentiellement disposé au vu et au su de tous, et notamment des voyageurs empruntant la route principale, la commune assure à ce nouveau monument une visibilité complète (aujourd'hui il a été déplacé et se trouve à côté de l'église et en face de la mairie).
  • Dans d'autres cas, le monument aux morts peut être placé dans le cimetière ou légèrement excentré dans un parc, aux limites de la ville : il endosse alors la plénitude de son nouveau rôle en dessinant dans l'espace public une zone dédiée à la cérémonie et à la commémoration. À Crouy-Saint-Pierre, le monument est initialement ceinturé par une haie ainsi qu'une grille symbolisant la clôture d'un espace appartenant aux morts.

Un monument aux symboliques plurielles

  • Le monument aux morts devient donc le centre des cérémonies commémoratives d'une commune dont le caractère est à la fois funéraire, citoyen, laïque et républicain. Par l'inscription de la mention sus citée, ou des noms des soldats tombés, la collectivité matérialise une mort devenue épigraphique. Ainsi, se trouve consacré un culte collectif à la mort, représentante du civisme que la vie donnée pour la patrie vient désormais incarner.
  • Tous les monuments semblent, à ce propos, déguiser la mort, voire la rendre glorieuse ou la sublimer, certainement pour en atténuer la violence et l'absurdité. Même sur les monuments pacifistes, elle n'est pas brutale mais prend la forme d'une veuve éplorée et/ou d'un enfant semblant venir clamer sa brutalité.
  • Chaque monument est constitué de multiples attributs. Ici, nous retrouvons :
    • une palme : la palme constitue le symbole du deuil, de l'affliction mais également du martyr et, in fine, de la gloire et du sacrifice.
    • une croix de guerre : celle-ci surmonte le monument et atteste physiquement de l'attribution à la commune de la Croix de Guerre (cf Document du mois sur la Citation militaire)

 

Chaque monument aux morts marque l'horizon et traduit la peine tout comme l'héroïsme.

Il rappelle à tous une guerre irrémédiablement présente dont la mémoire semble avoir été en partie construite sur une ambivalente horreur magnifiée.