Procès-verbal d'exhumation d'un tirailleur sénégalais (1942)

Entre les mois d'avril et de juillet 1942, eurent lieu sur le territoire de la commune de Crouy l'exhumation de 122 soldats de la 3e compagnie du 1er bataillon du 44e Régiment d'Infanterie Coloniale Mixte Sénégalais (RICMS). L'objectif fut de regrouper l'ensemble des dépouilles des soldats en un lieu unique, le cimetière de Crouy.

En effet, après les combats du 5 juin 1940, il semblerait que les corps de ces soldats eurent été enterrés sur les lieux de leur décès ou, tout du moins, non loin de ceux-ci.

Le groupe nominal "tirailleurs sénégalais" désigne les soldats africains de couleur noire résidant au sein de l'empire colonial français et incorporés dans l'armée française entre 1857 et 1962. Ils ne sont donc pas uniquement sénégalais mais le 1er régiment étant créé au Sénégal, cette dénomination restera pour désigner l'ensemble des soldats d'Afrique noire.

1. Une meilleure connaissance des lieux de sépultures des défunts

  • Ce procès-verbal est rédigé par l'officier de secteur de l'état civil accompagné de deux témoins, l'instituteur de la commune et un agriculteur.
  • Il nous apprend une chose encore ignorée il y a peu : ces soldats ont fait l'objet d'une première exhumation en 1942, depuis les endroits où ils ont été enterrés à la hâte vers le cimetière militaire communal, avant d'être de nouveau exhumés, quelques années plus tard, cette fois, afin de rejoindre la nécropole nationale de Condé-Folie.
  • L'étude de l'ensemble des procès-verbaux montre que les lieux d'inhumation sont aussi nombreux que ceux des combats et d'exécution des tirailleurs. Ce faisant, ils nous  permettent de mieux connaître la destinée de ces soldats, qui, comme  en atteste les témoignages d'officiers, ont vaillament résisté aux assauts allemands à l'aube du 5 juin 1940.
  • Le cahier d'enregistrement de cette opération retrace au jour le jour et lieu par lieu, chacune des exhumations.
  • La mention "soldat inconnu du 44e RICMS", apposée sur de très nombreuses des tombes de Crouy et, a fortiori, sur les procès-verbaux, témoigne, involontairement et ironiquement, du désintérêt et d'une forme d'oubli dont ont fait l'objet les unités coloniales après la Seconde Guerre Mondiale malgré les sacrifices endurés.

2. Exécution de ceux qualifiés d"untermensh"

Ces documents, outre le fait de constituer de précieux témoins du cheminement des dépouilles, nous permettent, 80 annnées jour pour jour après les faits, de nous souvenir de leurs sacrifices durant les âpres combats du 5 juin 1940 mais aussi, et surtout, une fois faits prisonniers.

Qualifiés d'untermensch (sous-hommes) par l'armée allemande, ils furent alors froidement exécutés malgré leur statut de prisonniers de guerre, en complète violation de la convention de Genève de 1929.

Des exécutions sommaires similaires se sont par ailleurs répétées à de multiples endroits du front. Ainsi en va-t-il de même à Saint-Pierre-à-Gouy, Hangest-sur-Somme sans compter des localités plus éloignées :

  • À Aubigny, le 23 mai : une cinquantaine de tirailleurs du 24e RTS, prisonniers, blessés et ayant vaillamment résisté à l'avancée allemande sont éxécutés.
  • À Airaines, le 7 juin : après deux jours de résistances acharnées empêchant la progression allemande, le capitaine gabonais N'Tchoréré, faute de munitions suffisantes se rend avec les 15 derniers hommes de sa compagnie ayant ainsi volontairement couvert le retrait du reste du bataillon auquel il appartient. Il est alors séparé des hommes "blancs", proteste de cette discrimination, invoque son statut d'officier mais est immédiatement abattu d'une balle derrière la tête.

          Il deviendra alors le symbôle du sacrifice des soldats des pays d'Afrique ayant versé leur sang pour la France.

Pour aller plus loin....

L'ensemble des documents témoignant de l'engagement des tirailleurs sénégalais du 44e (RICMS) sont désormais déposés et consutables en salle de lecture du Service intercommunal d'Archives. Le personnel de ce dernier se fera un plaisir de vous accueillir et de vous communiquer les témoignages qu'il conserve.

L'ouvrage qui suit m'a par ailleurs permis d'appréhender avec précision la réalité des combats sus-mentionnés. Il est donc à consulter pour de plus amples informations sur le sujet.

LEFEBVRE, A. (2015), Juin 1940 - de la Somme à la Bresle, Editions Aurea Vallis.